Brochure de la Coordination des femmes noires – Paris , 1978
Extrait de Écrits pour la parole, Léonora Miano, Paris, 2012
« Je ne veux plus qu’on m’aime
Qu’on me sourie
Qu’on m’invite au restaurant
Qu’on me tienne la porte
Qu’on m’offre des fleurs
Je m’en fous.
Oui. Je m’en fous.
Parfaitement.
Je ne veux plus qu’on m’aime
Si je ne peux pas me loger, travailler, me réaliser, arriver tout en haut.
Je ne veux plus qu’on m’aime si je ne suis pas dans les livres d’Histoire, dans les livres tout court.
À la tête des institutions et de tout ce qui a une tête
Je m’en fous qu’on me courtise
Qu’on me trouve sensuelle avec ma voix grave, ma cambrure, ma peau ambrée mes fesses rebondies, ma peau d’ébène, mon port de tête, ma peau, mes jolies tresses, ma peau et tout le reste
Qui n’est pas moi d’ailleurs mais c’est un autre débat
Je ne veux plus qu’on trinque
Qu’on se taille une bavette
Qu’on se fasse une raclette
Ni rien
J’en ai soupé de la fraternité sans égalité. »
Extrait de Ne suis-je pas une femme ?, bell hooks, Etat-Unis 1981
Dès que les femmes noires essayaient d’exprimer aux femmes blanches ce qu’elles pensaient de leur racisme, ou leur sentiment que les femmes à l’avant-garde du mouvement n’étaient pas des femmes opprimées, on leur répondait qu’on ne peut pas hiérarchiser les oppressions. L’insistance des femmes blanches sur “l’oppression commune” dans leur tentative d’interpellation des femmes noires afin qu’elles rejoignent le mouvement ne faisait qu’aliéner davantage ces dernières. Puisque de nombreuses femmes blanches du mouvement employaient des domestiques non-blanches et blanches, les femmes noires vivaient cette rhétorique de l’oppression commune comme une agression, comme l’expression d’une insensibilité bourgeoise et un manque de préoccupation pour la position des femmes des classes populaires dans la société.
Parler d’oppression commune était en réalité une attitude condescendante envers les femmes noires. Les femmes blanches partaient du principe qu’il leur suffisait d’exprimer un désir de sororité, ou le désir de voir des femmes noires rejoindre leurs collectifs, et que les femmes noires en seraient ravies. Elles pensaient agir de manière généreuse, ouverte et antiraciste, et étaient choquées par les réactions de colère et d’indignation des femmes noires. Elles ne voyaient pas que leur générosité servait leur propre cause et qu’elle était motivée par leurs désirs opportunistes.
C’est leur réticence à faire la distinction entre les différents degrés de discrimination ou d’oppression qui a mené les femmes noires à les considérer comme des ennemies. Alors même qu’elles souffraient moins de l’oppression sexiste, de nombreuses féministes blanches des classes moyenne et supérieure tentaient d’attirer toute l’attention sur elles-mêmes ; elles ne pouvaient donc accepter une analyse qui postulait que toutes les femmes n’étaient pas également opprimées, certaines femmes pouvant utiliser leurs privilèges de classe, de race et d’éducation pour résister de façon collective à l’oppression sexiste. […] Lorsque les féministes blanches ont mis en avant le travail comme moyen d’accéder à la libération, elles n’ont pas prêté attention à ces femmes qui sont les plus exploitées dans la population active étasunienne. Si elles avaient mis en avant le sort des femmes des classes populaires, l’attention aurait été détournée de la femmes au foyer banlieusarde qui est allée à l’université et qui cherche à occuper les emplois dévolus aux classes moyenne et supérieure. Si l’attention s’était portée sur les femmes qui travaillaient déjà et qui étaient exploitées en tant que main d’oeuvre de remplacement bon marché, cela aurait terni l’image de la quête d’un “emploi qui ait du sens” par les femmes de la classe moyenne. Sans vouloir minimiser l’importance de la résistance des femmes à l’oppression sexiste par l’entrée sur le marché du travail, il faut reconnaître que le travail n’a pas été une force de libération pour un grand nombre de femmes états-uniennes. Et il y a déjà longtemps que le sexisme ne les empêche pas de rejoindre la population active. Si les femmes blanches des classes moyenne et supérieure telles que Betty Firedan les décrit dans “The Feminine Mystique” étaient des femmes au foyer, ce n’était pas parce que le sexisme les avait empêchées de rejoindre la population active salariée, mais parce qu’elles avaient volontairement adopté l’idée qu’il était mieux pour elles d’être des femmes au foyer que de travailler. Le racisme et le classisme des féministes blanches étaient particulièrement évidents lorsqu’elles parlaient du travail comme force libératrice pour les femmes. Dans de telles conversations, c’était toujours la “femme au foyer” de classe moyenne qui était décrite comme la victime de l’oppression sexiste et pas les pauvres femmes noires et non noires qui étaient les plus exploitées dans l’économie
Extrait du discours de Thomas Sankara du 8 mars 1987 : La libération de la femme : une exigence du futur